Mofoto
Le droit de copier....
Je suis content, j'ai fait de super photos, je vais pouvoir les vendre, et protégé par
le droit d'auteur en France ou le copyright ailleurs, je pourrai bénéficier du droit
d'exploiter mon travail.
Vu comme ça, la situation est belle, notre travail créatif est effectivement bien protégé.
Manque de bol, sur mes photos, on voit un bâtiment un peu moderne, et l'architecte
qui a conçu le bâtiment a des droits lui aussi sur sa création. Manque de bol
aussi, sur mes photos on voit un joli paysage, et le propriétaire du terrain me fait un procès parce
qu'il a des droits sur son exploitation. Et comble de
malchance, sur une des photos, on aperçoit un brave monsieur qui allait chercher son
pain, et qui me fait, lui aussi, un procès parce que j'ai utilisé son image.
Je suis content, j'ai fait de super photos et je ne peux plus m'en servir...
Cette situation un peu caricaturale, repose sur des faits réels. Pei, notamment, contrôle
très strictement l'image de la pyramide du Louvres (payée, rappelons-le avec nos impôts), un
propriétaire de volcans d'Auvergne a effectivement fait un procès, et de plus en plus les
photos de nos magazines s'ornent de plus en plus qui de bandeaux noirs, qui de pixelisations sur les visages
des passants.
Le mouvement de fond derrière tout ça, est simplement une privatisation progressive de ce
que nous croyions naïvement appartenir à tout le monde, la nature, les rues autour de nous,
le paysage urbain dans lequel nous vivons.
Cette loi qui, pensions nous, nous protégeait se retourne vicieusement contre nous. Certes,
les photographes d'illustration, les photographes de mode, sont moins concernés, mais tous
ceux qui travaillent sur le monde qui nous entoure sont de plus en plus coincés.
Les photojournalistes auront peut-être la chance de pouvoir opposer le
droit à l'information, encore que la récente loi concernant les
«images dégradantes» limitent bien ce droit ; mais
les artistes, les paysagistes, les observateurs minutieux de la vie humaine,
bref les Strand, Doisneau, Ronnis, Franck et autres de demain ne pourront
plus travailler, ou bien au prix de risques personnels importants.
Ce problème auquel nous, photographes, sommes confrontés
dépasse largement le cadre de notre activité. Il y a
actuellement une grosse tendance à la privatisation du
«domaine public». La partie la plus visible et redoutable
du phénomène concerne sûrement la
brevetabilité du vivant, où l'on voit des entreprise
s'approprier des gènes qu'elles n'ont pas créés,
où l'on voit des sociétés pharmaceutiques
s'approprier des plantes utilisées dans les
médecines traditionnelles. Des continents entiers
se voient refuser l'accès aux soins pour le sida sous couvert de
protection aussi légitime que celle que nous demandons pour
nos travaux photos.
Face à cette situation, il semble que deux tendances se
dégagent. D'une part certains gouvernements du tiers monde ou
des ONG se battent au coup par coup pour le droit aux soins ou celui de
la reconnaissance du savoir communautaire. D'autre part, dans un
domaine tout autre, l'informatique, une idée est née.
On entend beaucoup parler ces temps-ci de son
épiphénomène récent : le système
Linux. Ce système est livré avec une licence originale,
la Gnu General Public License (GPL), qui permet à tout un chacun de
copier d'utiliser et de distribuer les programmes couverts par cette
licence. Mais le point le plus important de cette licence est le
suivant : les programmes distribués sous GPL ne peuvent pas
être récupérés par des
intérêts privés, et les programmes dérivant
de programmes sous GPL doivent être distribués sous
GPL. On a ainsi un système dans lequel on peut ajouter des
choses, mais dont on ne peut les retrancher. Ces données
étant librement disponibles, le résultat est exactement
le contraire de ce que je déplorais un peu plus haut : il se
crée un fond commun, une sorte de domaine public
protégé en perpéetuelle augmentation.
Pour essayer de conclure honnêtement, je ne peux que constater
que cette situation me met profondément mal à l'aise.
Le droit d'auteur tel qu'il est appliqué actuellement me fait
l'effet d'une armure lourde qui certe protège, mais dans un même
temps limite considérablement et de plus en plus ma liberté
de mouvement. Mais je dois avouer que j'envisage avec une grande frayeur
l'idée de retirer cette armure pour en trouver une plus efficace...
FiLH@filh.org
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